Votre enfant grandit ! La preuve ? Elle est là, juste sous vos yeux, sous forme de gribouillis colorés, de bonshommes têtards, de paysages fleuris et de soleils souriants ! Eh oui, les dessins de votre enfant ne sont pas seulement des chefs-d’œuvre : ce sont aussi les témoins de son développement psychologique, de ses expériences et de ses apprentissages.
Pour en savoir plus, Toupie a posé toutes ces questions au spécialiste René Baldy.

 

Pourquoi l’enfant dessine-t-il ?

René Baldy : Dans ses premières années, un enfant découvre profusion de dessins autour de lui, notamment ceux des personnes qui l’entourent. Il va avoir envie de les imiter, surtout si ses parents le mettent dans des conditions favorables, en lui proposant un petit bureau, du papier, des feutres… et s’ils l’encouragent à gribouiller. Bref ! Le dessin ne vient pas naturellement à l’esprit de l’enfant : il dessine parce qu’il vit dans une culture qui l’y incite. Certains enfants aiment particulièrement dessiner : c’est pour eux un moyen d’expression privilégié, souvent parce qu’ils ont l’habitude de partager des moments de dessins avec leurs parents. D’autres enfants ont des centres d’intérêt différents et développent d’autres compétences, au moins aussi intéressantes que le dessin, comme les puzzles, les jeux de construction ou, plus tard, la lecture…

Paul (1 an et 7 mois) s’amuse à compléter les dessins de sa maman : ces moments de « dessins partagés » lui donnent le goût de dessiner

 

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Un dessin peut-il révéler un souci ou une émotion de l’enfant ?

R. B. : L’enfant projette son émotion du moment ou des traits de sa personnalité dans tout ce qu’il fait, donc aussi dans ses dessins. Ces derniers peuvent être interprétés selon un code symbolique complexe et révéler des aspects de sa psychologie… mais ces interprétations sont réservées aux spécialistes ! Les parents connaissent bien leur enfant et certaines caractéristiques de ses dessins pourront prendre du sens à leurs yeux, ce qui est bien. Toutefois, je ne leur conseille pas d’aller plus loin car, si l’enfant projette son inconscient dans son dessin, les parents projettent aussi le leur dans l’interprétation : ils pourraient alors sur-interpréter et s’inquiéter pour rien. Ce serait dommage !

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Comment l’enfant passe-t-il du gribouillage au « vrai » dessin ?

R. B. : Le gribouillage est le premier contact avec le matériel (crayon, feuille, etc.). Le geste procure un plaisir moteur et la découverte de la trace donne une satisfaction visuelle… Mais l’enfant découvre vite qu’on attend de lui que ses traits figurent quelque chose. La transition se fait alors insensiblement. Entre 2 et 3 ans, le dessin commence à germer sous le gribouillage : l’enfant veut dessiner avant même de savoir le faire ! Puis, entre 3 et 4 ans, il se met à tracer des traits, des ronds, des carrés et à les assembler pour construire des dessins de plus en plus reconnaissables.

 

Robinson (3 ans et demi) dessine un tracteur, encore difficilement reconnaissable.

 

Entre 3 et 6 ans, l’enfant cherche-t-il à avoir un dessin « réaliste » ?

R. B. : Je ne crois pas. Le dessin enfantin est une sorte de langage graphique, un système de formes et de couleurs que l’enfant combine pour exprimer ses représentations, sans pour autant traduire les apparences de la réalité (comme un mot). L’enfant acquiert ce langage de formes en imitant les modèles graphiques disponibles dans son environnement: par exemple, l’idée de signifier les soleils avec la forme rayonnante ne naît pas dans l’esprit de l’enfant lorsqu’il le voit briller dans le ciel. C’est dans les apprentissages scolaires et dans les commentaires des adultes qu’il apprend qu’il peut dessiner des soleils et qu’une forme graphique qui lui est familière, la forme rayonnante, suffit pour les signifier.

Rosalia (4 ans et 10 mois) dessine des soleils en utilisant la forme rayonnante.

 

Quels sont les motifs récurrents dans les dessins des 3-6 ans ?

R. B. : Dans de nombreux pays, les motifs les plus fréquents sont le paysage (généralement habité) et le bonhomme, suivis par la maison et l’animal. Les enfants de 4 ans dessinent souvent un bonhomme, avec parfois une maison ou un soleil. Vers 6 ans, ils dessinent trois ou quatre éléments (bonhomme, arbre, fleur, animal, soleil). D’une façon générale, on note la prédominance du bonhomme, probablement parce que cela répond à une demande fréquente et explicite des adultes : « Dessine-moi un bonhomme ! » Peut-être aussi que le jeune enfant est plus intéressé par les personnes qui l’entourent que par les objets physiques ?

 

Comment ces bonshommes évoluent-ils ?

R. B. : Entre 3 et 5 ans, l’enfant dessine des bonshommes têtards (sans ventre, ou avec une tête et un ventre signifiés par le même rond). Entre 5 et 8 ans, il dessine des bonshommes filiformes (avec un ventre et des membres figurés par un trait) et des bonshommes « tubes » (avec un double trait). À partir de 7-8 ans, l’enfant fait plutôt des bonshommes « silhouette » (en traçant son contour). Cela dit, il faut souligner que les variations font partie de la normalité. Il ne s’agit donc pas de comparer les enfants entre eux, mais plutôt de comparer l’enfant à lui-même : le dessin peut alors constituer une toise de son développement psychologique.

 

Y a-t-il des différences entre les dessins des filles et ceux des garçons ?

R. B. : Les enfants s’identifient, sans en avoir conscience, aux personnages qu’ils dessinent. C’est pourquoi ils produisent souvent des prototypes de leur catégorie sexuelle. Les filles dessinent des filles et les garçons des garçons, chacun accentuant le caractère sexué du personnage : athlètes, sportifs musclés ou guerriers avec épée ou pistolet pour les garçons, fées et princesses à la chevelure soignée et à la robe longue marquant la taille fine pour les filles. Le rose est la couleur clivante : en tête chez les filles, elle ne fait pas partie de la palette des garçons.

 

 

Le dessin a-t-il un lien avec l’apprentissage de l’écriture

R. B. : Oui ! Les capacités perceptivo-motrices acquises dans le dessin sont utiles pour se conformer ensuite aux règles de la calligraphie. De plus, la pratique des symboles picturaux facilite l’acquisition de systèmes plus complexes comme l’écriture. L’une des difficultés est de bien différencier les deux systèmes de notation : l’enfant doit comprendre qu’à la différence du dessin, qui figure des objets, l’écriture code les sons de la parole. Il commence à le pressentir vers 3 ou 4 ans. Les choses se précisent en grande section de maternelle, puis au cours préparatoire.

 

 

Rosalia (4 ans) mime les propriétés superficielles de l’écriture : elle ne sait pas écrire, mais elle a déjà compris qu’écrire n’est pas dessiner !

 

René Baldy est professeur émérite des universités. Spécialiste du développement psychologique de l’enfant, il a enseigné à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Il a consacré de nombreux ouvrages et articles à l’évolution du dessin chez l’enfant. Son dernier livre, Comprendre les dessins de son enfant, est paru aux éditions Eyrolles.