Bousculer, arracher des mains, détruire le dessin des autres. Se moquer, provoquer, exclure un enfant d’un groupe… Ces comportements, très souvent observés chez les enfants de maternelle et de début de primaire, dégradent facilement le climat dans une classe, et peuvent être vécus comme des agressions. Sont-ils pour autant une forme ou un début de harcèlement ? Amélie Devaux, psychopraticienne spécialiste de la gestion de la souffrance scolaire, nous répond.

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À quel moment parle-t-on de harcèlement à l’école ?

Amélie Devaux : Il y a dix ans, on ne parlait de souffrances relationnelles à l’école qu’à partir du collège. Aujourd’hui, on parle plus facilement de harcèlement scolaire, et on voit le problème se déplacer vers le cycle 3, et même dès le CE2. Il y a un risque que ça baisse encore. Les parents et les enseignants sont à la fois plus rapidement inquiets, mieux informés, et ont tendance à intervenir très vite. Ils ont surtout peur de passer à côté de quelque chose de grave. Au primaire, cela prend souvent la forme de mises à l’écart, par exemple, mais cela reste moins agressif qu’au collège, où on rencontre plus d’attaques frontales, en groupe, avec une volonté d’humilier. Le harcèlement à l’école est une « escalade complémentaire » entre un élève qui subit régulièrement une violence et un ou d’autres élèves qui en gagnent un bénéfice. Dans cette « relation », un enfant en ressort toujours plus fort et un autre toujours plus faible. Et c’est, à mon avis, sur cela qu’il faut jouer pour sortir de ce cercle vicieux.

Il faut outiller les enfants pour qu’ils soient dans l’action, et non dans l’immobilisme que le harcèlement à l’école engendre.

En tant que parents, on s’angoisse un peu trop vite ou trop tôt ?

Amélie Devaux : Oui. Les adultes interviennent de plus en plus tôt. Il faut garder à l’esprit que notre intervention peut aussi empêcher les enfants de trouver leur solution, ce qui, parfois, peut les rendre moins souples dans leurs relations. La première question que l’on pose souvent à un enfant, c’est : « Alors, tu t’es fait plein de copains à l’école ? » Il y a une injonction sociale, de plus en plus rigide, à avoir des copains, une meilleure copine, etc. Or, chaque école a ses apprentissages relationnels. À la maternelle, les petits apprennent qu’ils ne sont pas au centre de l’univers et que l’autre existe… et empiète sur son territoire ! Donc, ici, ce n’est pas anormal de voir des enfants s’arracher des choses des mains, par exemple.

Et au primaire ?

Amélie Devaux : Au primaire, les amitiés sont fusionnelles, souvent entre deux enfants, parfois trois. Cette fusion peut donc mener à l’exclusion, à l’isolement d’un autre. Et certains enfants peuvent mal vivre le fait de ne pas avoir de « meilleur ami ». Quand un enfant ne parvient pas à jouer avec d’autres groupes d’enfants dans la cour, cet isolement peut être vécu comme une souffrance si cela se répète au quotidien, récré après récré. Mais un enfant qui préfère lire durant la récré, par exemple, ne doit pas être source d’inquiétudes pour les parents ! En consultation, des parents parlent de l’isolement de leur enfant à l’école en se basant sur le nombre d’anniversaires auxquels il n’a pas été invité. Je comprends que cela inquiète, mais il faut relativiser…


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Comment accompagner les enfants face à ces premières agressions ?

Amélie Devaux : C’est important d’être attentif et d’observer ce qui se passe. Mais également de voir comment les enfants s’opposent d’eux-mêmes à ces démonstrations de pouvoir. Et ils peuvent le faire ! Il faut outiller les enfants pour qu’ils soient dans l’action, et non dans l’immobilisme que le harcèlement à l’école engendre. Des élèves de maternelle peuvent apprendre à dire entre eux : « Non, tu n’as pas le droit de faire ça. » Pourquoi les enfants peuvent-ils être si méchants entre eux ? Parce que cela fait partie de l’être humain. Mais peut-être aussi parce qu’être méchant fonctionne pour obtenir ce qu’ils veulent, que cela leur apporte de l’attention, de la considération de la part des adultes. Je pense que les agresseurs savent très bien qu’ils font du mal. En cas de harcèlement, malheureusement, je ne crois pas que l’injonction morale venant des adultes fonctionne pour arrêter le cercle vicieux.

harcèlement école maternelle

Votre théorie autour du harcèlement s’appuie sur l’importance de la posture de l’enfant harcelé…

Amélie Devaux : Oui, nous cherchons déjà à libérer la parole des victimes, en leur demandant de nous raconter, très précisément parfois, ce qui se passe dans la cour. Au primaire, ce sont souvent des problèmes d’exclusion, d’isolement, des moqueries. Ces enfants sont parfois tellement tournés à l’intérieur d’eux-mêmes qu’ils ne parviennent pas à nous raconter le déroulement de leur récré. Nous leur proposons alors de prendre des notes. Et cette simple posture, se mettre à regarder ce qui se passe, leur fait changer d’attitude dans la cour. En cherchant les autres des yeux, pour simplement observer, ils relèvent la tête ! Parfois, le problème se résout tout seul et les attaques cessent.


IL FAUT EN PARLER ! Le numéro anonyme et gratuit 3020 est ouvert aux élèves, parents et professionnels victimes ou témoins d’actes de harcèlement à l’école.


Et quand cela perdure ?

Amélie Devaux : En consultation, nous rejouons avec eux les situations vécues à travers des jeux de rôle. Et nous leur demandons : « Là, qu’est-ce que tu aurais pu dire ou répondre ? » Nous les accompagnons pour préparer ce que nous appelons des « flèches » : apprendre à avoir le dernier mot, en quelque sorte. Il me semble important de placer l’enfant dans la position de trouver une solution par rapport à la situation qu’il vit.

Quel peut être le rôle des enseignants face à ces difficultés ?

Amélie Devaux : Ils sont nombreux à vouloir s’investir plus ! Quant à ceux qui ont baissé les bras, quoi de plus compréhensible… Une demi-journée de sensibilisation aux souffrances scolaires, c’est très peu. Et cela pose la question de l’intervention de l’adulte. Au collège, par exemple, l’intervention non voulue par la victime est problématique pour résoudre une situation. Elle peut parfois faire empirer le harcèlement. Or, le harcèlement immobilise les enfants. Il prive les victimes de toute leur énergie. Il faut leur montrer qu’ils ont le droit d’être en colère contre ce qui leur arrive !

Amélie Devaux intervient au centre À 180 degrés, www.a180degres.com

Propos recueillis par Isabelle Pouyllau. Photos : © Abode Stock.


Une journée pour dire non

Depuis 2015, le ministère de l’Éducation nationale organise, en novembre, une journée de sensibilisation et de lutte contre le harcèlement à l’école. À travers son programme Non au harcèlement, différentes actions sont menées : modules de prévention auprès des élèves, information des parents, mais aussi mise en place d’outils et de ressources pour les équipes enseignantes. Cette année, la journée aura lieu le jeudi 5 novembre. L’accent sera mis sur les situations de harcèlement rencontrées en primaire. Les autorités ont en effet constaté une augmentation des faits dès le premier degré. Cette année, le concours « Non au harcèlement » est accessible aux élèves dès le CP avec la création d’un nouveau prix spécial école élémentaire. www.nonauharcelement.education.gouv.fr/

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